
Sa mine fatiguée fait passer un message moins rassurant : le jeune trader de la Défense a bel et bien fait courir un frisson d'effroi dans le dos de la vénérable dame de la rue la Vrillière. Révélée en pleine crise des subprimes, sa forfaiture tombe on ne peut plus mal : elle montre qu'à la cupidité « légale » qui a déjà provoqué la crise financière s'ajoutent les défaillances des systèmes de contrôle des banques, remparts contre la cupidité « illégale ».
En fait, si les autorités de régulation ne manquent pas, en revanche, chacune d'entre elles présente de sérieuses lacunes. A commencer par le contrôle interne effectué au sein des banques. A ce stade, les vérifications se font en famille... avec plus ou moins de rigueur. En théorie, d'inflexibles inspecteurs généraux passent régulièrement au peigne fin les opérations des traders et les somment de s'expliquer quand une bizarrerie comptable apparaît.
En pratique, ce corps d'élite - jadis l'aristocratie de la banque - se trouve méprisé par des golden boys gonflés de certitudes, sûrs d'appartenir à une sorte de bourgeoisie montante. « On a vu des traders recevoir les contrôleurs les pieds sur la table et les tutoyer avec mépris. De toute façon, l'autorité ne peut pas s'exercer : le contrôleur est perçu comme un centre de coûts, et le contrôlé, comme une machine à cash », témoigne Maxime Legrand, ancien inspecteur à la Société générale, aujourd'hui professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine. Et, en ces temps de concurrence acharnée, les banques préfèrent les money makers aux administratifs vétilleux. « Un gros travail d'éducation s'impose », martèle Francis Hounnongandji, représentant français de l'ACFE, association des experts antifraudes.
Mais l'impéritie du contrôleur tient surtout à des problèmes techniques. En matière de subprimes et de produits dérivés, les opérations visées reposent de plus en plus sur des équations financières longues comme le bras, maîtrisées par leurs seuls géniteurs. « En quinze jours, il faut tout connaître de l'activité qu'on contrôle. Impossible, dans ces conditions, de faire un travail très fouillé. Une semaine avant de se pencher sur des produits financiers de haut vol, l'inspecteur pouvait très bien auditer l'agence de Bagnolet », se souvient Maxime Legrand.
Encore plus inquiétant, les frontières entre le contrôle interne et la salle des marchés peuvent se révéler poreuses. Du moins à la Société générale. Avant de s'adonner au trading, Jérôme Kerviel officiait au middle-office, le département chargé de mettre au point les codes de sécurité financière et informatique. Faciles à déjouer pour un ancien. Le tombeur de la Barings, Nick Leeson, présentait la même trajectoire professionnelle. « C'est comme si on laissait la voiture la plus puissante à celui qui a installé les radars sur la route ! », s'emporte le sénateur de l'Oise, Philippe Marini, rapporteur général de la Commission des finances.
Heureusement, le contrôle n'est pas confié qu'aux seuls inspecteurs maison. Par l'intermédiaire de la commission bancaire, la puissance publique intervient ensuite pour sonder les profondeurs des comptes et des engagements de la banque. Environ 150 enquêteurs se livrent à une sorte de deuxième examen. Seul problème, malgré dix-sept descentes effectuées en 2006 et 2007 au siège de la Société générale, ils n'ont rien vu des agissements de Jérôme Kerviel. Mais, au-delà de cette histoire, les enquêteurs publics ont bien du mal à faire régner l'ordre. En France comme ailleurs. La faillite de la Banque Northern Rock constitue un outrage pour le contrôleur britannique. Et son homologue allemand fait profil bas depuis la déconfiture de l'établissement IKB. La commission bancaire se contente parfois du seul rapport d'inspection réalisé par la banque. « Les établissements bancaires ont convaincu les régulateurs de leur laisser une grande liberté d'action avec leurs crédits. Voilà le résultat », constate André Sapir, économiste à Bruxelles pour le think thank Bruegel. « Pas la peine de se raconter des histoires. Sauf à poster un contrôleur derrière chaque trader, des carnets d'ordres entiers échappent à la surveillance des autorités », admet un régulateur français.
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